vendredi 7 septembre 2012

Ginsberg à la barre

C'est vraiment Hard. Vraiment French. Mais ce n'est plus désormais que des cartes postales et des souvenirs. La Cité Pierre Collinet de Meaux a disparu sous la "culture de la démolition", ce mal tout aussi français que le hard french.
Faire de la politique du logement (à gauche comme à droite) c'est faire une politique de la démolition. Car cela se voit, cela est spectaculaire et surtout cela ne résout rien.
Que voulez-vous... j'aime cette architecture de Jean Ginsberg. Je n'y peux rien, j'ai été élevé comme ça en passant par la peinture moderniste et De Stijl, en passant par Donald Judd et les minimalistes américains. Et puis, doucement, tranquillement, aimer les structures pour ce qu'elles sont aussi des espaces, aimer l'architecture comme on aime la sculpture : gratuitement, hors de la trivialité d'usage.
Je sais que ce pas sur le côté est souvent agaçant et difficile. Mais j'aime la Cité Pierre Collinet.
Et sa force d'implacabilité qui plaît, sa grille déterminée, sa rythmicité appuyée.
Dans un espace extrêmement ouvert, certainement l'une des seules vraies victoires et héritages de la modernité, ces immeubles sont bien des barres. Elles barrent et on les habite. On habite des falaises construites. Je le reconnais ce n'est pas simple. Il fallait vouloir habiter une topographie. Il y a pourtant de vraies qualités à cette esthétique. Celle du point de vue, des visées. Au bas, le regard est arrêté par des écrans brutaux et fermes, pureté abstraite. Au pied, l'œil monte sur les façades fuyantes comme un paysage de Superstudio, ce qu'a très bien vu Nicolas Moulin. Des paysages horizontaux basculés et vierges, vides, cités inconnues. Dedans, le regard reconnaît comme un miroir la barre d'en face et la hauteur parfois très grande permet l'allègement de l'ensemble. Presque un vol.
Alors laissez-moi là devant mes images. Laissez-moi croire que c'est aussi une forme, que j'ai le droit d'aimer ces monstres. Ce sont eux qui ont le plus besoin d'amour, toujours.
Regardons cette forme :



Il s'agit d'une carte postale Yvon sans date ni nom de photographe et d'architecte. Seul le nom de la Cité Pierre Collinet est inscrit.
Entre le canyon des immeubles, l'œil va chercher la ville plus loin dans un fatras de couleurs mal disposées. La coloration du cliché rend en effet l'ensemble brouillon pour le lointain ! Au pied des immeubles on devine un chantier et surtout une petite construction comme un morceau témoin de celles plus grandes déjà construites. C'est étonnant... Est-ce bien là une construction témoin ? Regardez, tout est à l'identique même le toit...



Et puis comme un choc :



Plein la face. Ici on ose le mot barre. Quelle image ! Quelle architecture ! Regardez le plan d'aménagement, les circulations, l'espace au pied généreux. Mais j'aime aussi l'ombre longue qui vient de l'immeuble à gauche, ombre qui devait marquer les heures, cadran solaire puissant et sourd.








Au devant l'œil reconnaît la rigueur de la géométrie et une fois encore la coloration accentue la grille et le dessin abstrait. La fracture de l'escalier, ses diagonales soudaines sonnent comme une fissure du bloc, le lieu de son effondrement.
Bien plus proche :



Cette carte postale ne porte pas de date ni de nom d'éditeur mais elle est beaucoup plus récente. Le photographe est nommé : Bruno Sternberger. Peut-être nous dira-t-il si le milieu des années 80 est la bonne période ? Mais il nous donnera également des précisions sur l'édition de cette carte postale, sa diffusion et son origine. Il a choisi un point de vue ouvert qui là aussi révèle le potentiel d'espace de ces cités. Regardez comme les tours sont loin les unes des autres. Une richesse que, certainement, quelques promoteurs auront vue.