lundi 7 novembre 2011

faire le mur



Je ne sais pas ce que tu es devenu.
Je ne suis même pas certain que tu te souviennes de moi.
Pourtant nous avons ri ensemble et parfois même pris des torgnoles par les plus grands.
Il faut dire qu'on le cherchait bien, faisant conneries sur conneries comme de couper les fils à plomb au pied des bancs.
Mais on s'en foutait pas mal.


Toi, tu croyais qu'il viendrait te chercher finalement ton père. Il viendrait dans la Simca Aronde neuve que tu l'avais vu conduire un soir en rentrant chez ta grand-mère. Lui, tu ne l'avais pas vu, mais sa bagnole si et autour de cette silhouette mécanique tu avais imaginé la vie de ce père dont tu ne savais qu'une chose pourtant : son indifférence à ton égard.
Un matin, dans le réfectoire, ta place en face de moi était vide. Tu étais parti m'avait juste dit Monsieur Brémond le surveillant.
J'avais chialé comme une madeleine dans les toilettes et j'avais été chahuté par les autres à cause de ça.
Je m'en foutais.
J'avoue que je t'ai oublié longtemps. Et heureusement car la vie c'est comme les murs de briques ça a l'air solide et puis un jour faut peu de choses pour que ça tombe.
Alors aujourd'hui, je glisse encore parfois mon doigt sur les joints des murs pour juger de la qualité du travail des maçons comme on nous avait appris. Moi, j'aimais bien faire ça, la maçonnerie. C'était bien de voir son travail, c'était une chose rassurante et vraie. Soit ça tenait, soit ça tombait. Pas compliqué comme la vie des adultes et la nôtre...
Non, un mur c'est un mur. Dedans, dehors, pas de mystère.
Toi tu n'étais pas vraiment là, toujours à rêvasser, à croire, à espérer. Tu disais qu'il y aurait toujours un con de maçon pour faire les murs des prisons et des foyers des pupilles sans se poser la question de pour qui il était ce mur. Le mur, toi tu voulais te le faire...
Un jour, j'ai cru te voir dans un film... oui !
Un film marrant où y avait un môme qui faisait les 400 coups comme on disait à l'époque. Même qu'à la fin le gars il se barrait au bord de la mer.
On ne sait pas s'il arrive vraiment à partir ou si la mer finalement le retient comme une barrière, ça te ressemblait vraiment et puis le gars qu'a filmé ça on aurait dit qu'il avait vécu le truc, tu vois ?
Bref...
Je sais pas si tu te souviens de moi.
J'ai arrêté d'être maçon maintenant. J'ai un fils. Il s'appelle comme toi Antoine. Mais il veut pas reprendre le métier, il aime pas les murs, comme toi.


Foyer des pupilles de Lille
l'atelier de maçonnerie
photo de Herman, Lille. Pas de date, pas d'histoire...


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