samedi 6 février 2010

la limite

La limite de l'exercice me pousse parfois à me demander si parler de l'architecture au travers seulement d'images dont je ne maîtrise ni le choix de l'objet ni son cadrage peut avoir un sens.
Par exemple :


Ici il s'agit d'un grand classique de l'architecture. Il suffit de quelques clics sur un clavier pour qu'internet me donne des images et des commentaires sur cette architecture. Pourtant toujours et encore il me sera impossible de dire ce que ma hauteur d'œil, le poids de mon corps, la lumière du lieu, l'appréhension des distances pourraient me laisser penser en étant sur place. Cet écart me pousse certainement à émettre non pas des jugements mais des avis qui pourraient clairement être remis en question par la simple visite, promenade, déambulation dans la construction.
Avec ce bâtiment d'Arne Jacobsen ici représenté je suis un peu gêné aux entournures car il m'indiffère un peu. Je peux bien vous dire sa représentation ici et maintenant figée dans une carte postale aux éditions Stenders Verlag.
D'abord l'énorme pendule mince qui accapare le regard placée étrangement au milieu de sa tour mais par un mauvais tour joué par la perspective qui semble chuter en permanence me dérange au plus au point. On dirait qu'elle a glissé là et que personne n'a songé à la remettre à sa place.
La succession des volumes de cette façade ne sachant pas quelle hauteur choisir ni quel alignement prendre sur la rue me trouble aussi comme une fantaisie un peu trop mûre qui veut que de ces nuances, se jouerait une variation pour l'œil du piéton.
Il en va de même de la verdure plaquée sur les grilles que je ne supporte là vraiment pas. J'ai toujours eu beaucoup de mal avec les lierres et vignes vierges grimpant à l'assaut des façades et qui m'effraient d'une peur enfantine comme si la maison se faisait dévorer par je ne sais quel monstre. On retrouve bien cette inquiétude de l'envahissement mural dans une peinture de Munch. C'est aussi cela qui me fait détester les murs végétalisés qui sont pour moi le pire placage architectonique qui soit, aberration fonctionnelle, crétinerie écologique d'un bac Riviera à la verticale n'ayant d'autre fonction que de nous faire croire à la "gentillesse" du mur ainsi recouvert. La nature mon brave monsieur, la nature...
J'aime la nature sur les ruines réelles, celle qui passe sur les catastrophes défonçant les sols et les carrelages, ruisselante de racines fortes et agressives (voyez Piranèse) et je n'aime pas cette minauderie de coiffeur de façade.
Bien découpée autour des châssis des fenêtres.
Mais la tour maigrelette prise dans une cage me plaît beaucoup. Peut-être manque-t-elle de quelques mètres supplémentaires pour définitivement rendre sa minceur dangereuse et fragile. J'aime comment cette résille très très ouverte révèle le volume de cette tour et donne l'envie de la parcourir d'étage en étage.
Elle ne doit contenir rien d'autre qu'un escalier pour l'arpenter et n'avoir de fonction que de faire signal. Et ce qui est étrange et amusant c'est bien que la seule information qu'elle pourrait offrir, l'heure, est descendue vers le sol comme pour encore forcer le geste inutile mais plaisant de sa hauteur.
Mais voilà : je n'ai rien vu.
Je n'ai rien vu de l'air dans cette rue, de l'espace qui permet de loin, de près, de voir surgir cette tour. Je ne sais rien de ce qui se passe derrière qui est peut-être, eh oui ! le devant de l'architecture.
Car ce que je vois est plat. Seule la perspective, merveilleuse découverte, me permet de réellement percevoir un espace et n'est pas un leurre.
Mais tout de même le massicot de l'imprimeur, le viseur du photographe ne me permettront jamais de voir au-delà de cette limite franche d'un morceau de carton.
Et tout ce que je viens de dire, 2cm de plus à gauche ou à droite pourrait bien s'effondrer. Pire encore, ou heureusement, une promenade à Aarhus, avec un regard appuyé me permettrait de saisir mieux cette architecture.
Et quand vous saurez que je l'ai vue de mes yeux vue cette construction vous perdrez pied complètement.
Mais il arrive que même ainsi, les souvenirs ne suffisent pas. A moins que le fait qu'ils ne soient pas constitués avec force prouverait finalement mon indifférence à l'égard de la bâtisse. Il faut aussi parfois regarder et pas seulement voir.
Doit-on toujours et malgré tout aimer les icônes ?

Au fait, il s'agit de l'Hôtel de Ville de Aarhus par Arne Jacobsen. La carte postale ne donne pas le nom de l'architecte, elle fut expédiée en 1966.