mercredi 11 novembre 2009

Rouen chantier Le Havre chantier

Voici deux villes voisines toutes deux martyrisées par les bombes alliées.
Des champs de ruines qu'il a fallut rebâtir.
Voici deux cartes postales montrant les travaux en cours.
Commençons par l'embouchure du fleuve avec le Havre :




Nous sommes devant le Bassin du Commerce et les nouveaux immeubles dans une superbe édition Bellevues en véritable photographie.
Voyez comment le photographe essaie d'apporter du pittoresque avec sa ligne de barques au premier plan, rejetant ainsi la reconstruction à l'horizon.
Une ligne de terre, une ligne de barques, une ligne d'eau une ligne de baraquements, une ligne d'immeubles, une ligne de ciel.
On devine parfaitement les baraques sur le quai en face avec le linge qui sèche. On perçoit aussi, toutes grues dehors l'effervescence d'un chantier gigantesque qui ne sait pas encore qu'il rentrera dans le patrimoine mondiale de l'UNESCO.
Au dos une date au stylo hésite entre 1950 et 1956. Tante Jeanine écrit à Suzanne dans une orthographe relative : "tu peut voir ma petite Suzanne le changement aux Hâvre. Ses l'amérique 10 étage et les loyers a 45 mil par année. Bons baiser."
Oui l'Amérique et pour pas cher ! Mais est-on en 1950 ou 1956 ? le chantier était-il aussi avancé en 1950 ?




Rouen est un peu plus construite. On pourrait même d'un regard furtif ne rien voir du chantier. Pourtant l'œil rapidement lit bien que tout cela est neuf et inachevé.
La rue Jeanne d'Arc continue encore de monter vers la gare en bleuissant les toits.
La photographie au bromure est colorisée à grands coups de pochoirs malhabiles, des roses, des jaunes et des bleus pour l'ardoise.
La volumétrie a peu changé finalement depuis.
Mais il faudrait courageusement à la loupe lire rue par rue, façade par façade et faire monter le doute de cette pérennité.
Au moins 50 ans depuis...
une édition Lapie, service aérien.


c'est aussi Claude Parent.

Sainte Bernadette a toujours été bonne pour Claude Parent.
Imaginez que, avant d'avoir à réinventer la grotte à Nevers avec Monsieur Virilio, il avait dû se mettre au travail pour dépouiller la vraie grotte, celle de Lourdes.
Si les petites choses font les grands architectes alors Monsieur Parent est un grand architecte.
Regardez avec quelle minutie du détail, quelle douceur et quelle subtilité à la limite du vide, il a su redonner du merveilleux à cette grotte lieu fétichisé s'il en est.
édition d'art Roland 1948


Elcé 1958

Tout est en discrétion humble faisant du creux dans la roche l'œuvre et l'architecture.
Seule maintenant la foi habite ce lieu comme dans les absides romanes presque froides, nids de pierres noircies de fumée.
Tout juste 10 années séparent ces deux cartes postales : 1948, 1958.
La grille saute laissant le passage et redonnant aux pèlerins une circulation des yeux, des jambes et j'ose des genoux si on en croit le pénitent au premier plan de la carte postale Elcé.
Vous pourrez bien me dire que les différences sont faibles entre l'image du haut et celle du bas.
Oui et c'est bien ce qui honore le travail de l'architecte.
Pas de pompe, pas de fanfare tonitruante, rien qu'un travail de retrait, presque de rangement pour permettre enfin à ceux qui voient de voir sans barreau, sans dentelle, sans meuble. La grotte redevient cet écran de projection à espoir, chacun y envoyant son désir et sa compassion sans retenue et sans les ombres d'objets inutiles.
Même la très vilaine sculpture de la vierge y retrouve finalement sa candeur.
On admirera la simplicité de l'autel, géométrie simple aussi qui dit son utilité et ne se pare que des gestes de la liturgie.
C'est touchant, émouvant.



Cette dernière carte postale en couleur chez Edlux éclaire la grotte et la fait voir dans son espace.
Une simple estrade fait comprendre au corps qu'il franchit un lieu pour quitter un paysage. On entre ici par cette petite marche. La nature est laissée sur les parois, dégoulinant d'humidité dans les anfractuosités verdies par les souffles. Ici je retrouve la peau du béton de Nevers imprimée des bois de coffrage. Pour le pèlerin les deux lieux sont à la fois ouverts et fermés. Il faut peu de chose pour le recueillement, la simplicité d'une forme, la réalité d'une matière et la vérité d'une pensée de l'espace.
Sans nul doute que Messieurs Parent et Virilio ont compris cela à Lourdes.