lundi 8 juin 2009

chef-d'œuvre de profil


C'est du lourd.
Soyons sérieux, là en terme de collectionneur de cartes postales d'architectures modernes et contemporaines, je touche au Saint Graal !
Je ne croyais pas qu'il puisse exister une telle carte postale. Pourtant ce domaine m'a assez souvent averti de ses incroyables ressources. Lorsque j'avais vu pour la première fois la carte postale de Saint Bernadette du Banlay de face (est-ce un terme pour ce type de bâtiment ?) je croyais avoir là l'objet final, celui autour duquel toute ma collection tournerait.
Mais voici à nouveau, une carte postale de l'église Sainte Bernadette absolument superbe.
Brutalisme, Art Sacré contemporain, Claude Parent, beau béton, dans le guide, toutes ces approches sont bonnes pour cette carte postale et évidemment pour le bâtiment.
Le point de vue est remarquable, le bloc y est bien brisé, fendu. On remarque que la photographie est aux limites extrêmes, collant l'église dans le cadre, ce qui accentue la masse.
Impossible de nommer cela une église pour qui ne connaîtrait pas la fonction. Aucune croix, aucun signe ne le laisse penser. La forme dit avant tout sa référence, sans peur, sans honte. Le bunker est bien un bunker, l'image ne peut pas dire autre chose, c'est donc bien une construction basée sur le sentiment du bâti plus que sur sa réalité constructive. Ce sentiment qui est le jeu des architectes, qui fonde le leurre visuel pour accentuer l'écart entre fonction et forme, est aussi ce qui fait de l'église un outil pour la foi. Ici, il faut croire en la force de transcendance pour accepter de prier là . Les premiers chrétiens, aux poissons gravés sur les parois, se réunissaient dans des grottes. Il s'agit de faire de nos sens, des objets du doute. L'œil voit un bunker alors que le cœur sait l'église, et ce doute profite à la foi, la motorise (j'aime ça) la met en action. Pénétrer là, oser le passage sous le béton, sentir la tête se rentrer dans les épaules, c'est la position du pénitent. L'aridité offensive augmente le désir de l'autel et de la réunion des fidèles, quelque chose comme la nécessité alors, de se blottir sur des pentes obliques qui, pour l'œil, également  nous réunissent. 
C'est un chef-d'œuvre.
Où trouve-t-on ailleurs ce décalage entre perception et fonction ? Quel bâtiment nous offre l'obligation de reprendre tout ce que nous avons de préjugés pour en faire des formes interrogatives ? Quel lieu nous dit, loin des expériences vécues, la possibilité de les jouer partout ? 
Ce que réussit Sainte Bernadette du Banlay, c'est bien nous dire, excusez-moi, la nécessité de la pénétration d'un bâtiment, sa valeur d'usage. L'extérieur ne dit rien de son rôle, même il nous trompe. Il faut utiliser le bâtiment dans son parcours pour en saisir son sens et le trouble affiché. C'est une église, quoi que vous en pensiez, en doutiez. Il faut ici devant le béton renoncer à tout sauf à sa foi. Moi qui ne suis pas croyant, je tente d'imaginer ce que cette expérience de dépouillement peut avoir de forte pour ceux qui pénètrent ici en croyants. Il faut reconnaître qu'elles sont peu nombreuses les pensées religieuses capables d'accepter un tel remaniement du lieu de culte et ce fut là aussi un moment puissant pour l'église catholique en France cette ouverture inouïe à des formes scandaleuses au sens qu'elles obligent à Croire.
Une pensée, ici a pris corps, on dit incarnée.
Elle s'est d'abord modelée aux expériences du corps des architectes. De leurs expériences, ils ont établi une stratégie conceptuelle qui a rencontré une nécessité et une ouverture. L'ensemble s'est construit, pour une fois hors de l'utopie, sur un morceau de terrain à Nevers. C'est splendide ce que l'imaginaire relié à l'expérience des sensations peut offrir à la pensée d'une forme.
Voyez Ronchamp, Royan, voyez Nevers.

La carte postale n'est pas datée, elle est éditée par les éditions des nouvelles images à Lombreuil ; elle ne dit pas le nom des architectes, messieurs Virilio et Parent.
N'oubliez pas de refaire un petit tour au message du 17 juillet 2007.



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