mercredi 17 décembre 2008

un exercice d'analyse


Je fais une tentative dangereuse : analyser une œuvre d'après uniquement son image, sans l'avoir ni expérimentée, visitée, vue autrement que par sa reproduction en photographie.
Je choisis cette œuvre d'abord évidemment parce qu'elle se livre à la manière d'une carte postale. Distribuée gratuitement à l'entrée du Crédac d'Ivry cette petite carte au format postal n'est pourtant pas à dos divisé laissant planer un doute quant à son statut de communicant.
Pourquoi être si proche de l'objet carte postale et s'en échapper aussi vite ?
La peur de faire moins contemporain ?
Les cartons sont disposés à l'entrée et seule l'inclinaison naturelle pousse le visiteur à prendre ou non ces images. C'est déjà un signe, une manière de politesse, une générosité de la diffusion. Cela n'appauvrit rien, l'inclinaison naturelle est toujours une réactivité et elle est inépuisable tant que des nouveaux visiteurs passent, regardent et se servent. Non, vraiment, diffuser en grand nombre ne déstabilise rien de l'approche que l'on a d'une image quelle qu'elle soit. (suivez mon regard).
Souvent d'ailleurs on prend ces images d'une manière un peu rapide, parce qu'elles sont là et on les retrouve au fond d'un sac après une semaine en se demandant ce qu'elles sont. Et c'est souvent à ce moment que l'on se pose la question de leur statut. Quoi en faire ?
Elles sont des pense-bêtes, des manières de se rappeler la visite de l'exposition, de tenter de la comprendre sans l'avoir vue, un bloc-note pour un numéro de téléphone et une approche du travail d'un artiste dont on oublie aussi vite le nom. Mais il arrive que ces images traînent dans notre esprit d'une manière récurrente, qu'elles dérangent les rangements (tiens ?!).
C'est le cas pour cette carte nous montrant un travail de l'artiste contemporain Julien Pastor. Ce travail s'appelle "l'Ivryenne", est daté de 2007, la photographie est de André Morin du Crédac. Toutes ces informations sont sur le verso de la carte, désir d'informer au mieux et nécessité légale du droit d'auteur. Mention est faite également du soutien de quelques administrations culturelles : ville d'Ivry, D.R.A.C Ile-de-France, Conseil régional etc.
Il s'agit donc bien de communication et non d'une édition d'artiste.
Julien Pastor ne pose pas là d'idée de diffusion d'une œuvre originale. Il ne s'agit pas d'un travail mais de sa représentation. C'est fondamental comme nuance car il existe également des cartes postales d'artistes désirées comme telles. On remarque l'extraordinaire qualité de tirage et d'impression de cette carte lourde sur papier fort et brillant : un bel objet.
Que vois-je ?
Un objet étrange qui tient de la tente de camping militaire, parfaitement réalisée et qui reprend d'une manière évidente pour quiconque a visité Ivry les édicules posés au pied des immeubles de Renée Gailhoustet et qui servaient de kiosques à journaux par exemple. Ces édicules sont de Renée Gailhoustet. Il s'agit donc pour Julien Pastor de faire citation d'une architecture modeste mais superbe, vouée à l'extérieur, à l'intérieur d'un lieu d'exposition. Il s'agit également, et la translation est étonnante, de jouer avec l'image d'une architecture vouée au plein air (le camping) que l'on installe au sous-sol !
Les passages sont multiples : extérieur-intérieur, solide-souple (textile), public-privé, marchand-loisir, utile-artistique (là c'est plus complexe), architectural-sculptural, multiple-unique, dehors-dedans. L'échelle change également, Julien Pastor réduit la construction de Madame Gailhoustet je dirais de moitié. C'est difficile pour moi de mesurer mais ma connaissance du lieu d'exposition, ainsi je crois, que ma connaissance du désir des œuvres contemporaines me font penser qu'il n'est pas question ici d'une reproduction à l'echelle 1 ce qui est un peu une translation obligatoire (académique ?) des artistes envers l'architecture (voir Jordi Colomer, Didier Marcel, Marc Hamandjian etc.)
Pourquoi par exemple ne pas réaliser une reproduction à la taille réelle de ces édicules ?
Manière de se l'approprier, manière de l'éloigner du modèle (ne pas copier), manière de jouer avec nous de nos images mentales et de poser un trouble sur la citation. C'est toujours efficace. A contrario, allons voir au Palais de Chaillot la reconstitution à l'échelle 1 de l'appartement de la Cité Radieuse de Le Corbusier. Comprendre que pour le didactique, l'éducatif, on reprend soit l'échelle 1 soit la maquette. L'espace entre les deux est pour les artistes contemporains. Pour ma part j'aime beaucoup l'idée de visiter ainsi comme par télé-portation un lieu.
J'aime cette pièce de Julien Pastor. Le verbe aimer ici comprend donc cette inclinaison naturelle et ce besoin d'analyse. J'aime cette pièce parce qu'elle se pose pour moi dans un registre formel, culturel, citationnel qui est de mon monde. Elle ramasse en quelque sorte une masse incroyable de mes intérêts et mon cerveau, bien avant moi (mais c'est moi non ? aurais-je un inconscient ?) me fait pencher vers cette pièce bien plus vite que mon analyse. Il m'est permis tout de même de la trouver très connotée et tout à fait dans son époque presque sans surprise. Je dirais également que l'ironie, terrain si vivant et labouré, est aussi ce qui rend cette pièce abordable, aimable et ma foi fort réussie. Elle est (chers étudiants, chères étudiantes) aussi remarquablement réalisée ce qui est très important. Pas de bricolage apparent (image je vous dis), on sent une application réelle, un niveau de finition que je prends pour un hommage à l'œuvre citée. il serait insupportable qu'un relâchement tombe ici, ne laissant alors percevoir qu'une faiblesse face aux univers invoqués (architecture, industrie textile).
Voilà.
Il faut conclure en parlant du point de vue centré qui se veut le plus objectif possible, photographier l'œuvre sans faire œuvre d'art, le photographe ne se met pas en avant, il n'invente pas un regard, il sert et c'est son grand talent, il sert la sculpture de Julien Pastor. J'imagine l'artiste et le photographe, de concert décidant du point de vue, à hauteur d'homme, un peu au-dessus pour un lecture maximale du volume. L'espace d'art contemporain dénué de fioritures, décors, permet à l'objet de se détacher du fond dans un rituel de la boîte blanche si contemporain. Comment est cette pièce photographiée au camping des flots bleus, sur un terrain militaire ou devant son modèle dans la rue ? Là, les images des tentes des S.D.F seraient par trop lourdes je crois pour Julien Pastor.
Alors allez au Crédac à Ivry. Vous vous trouverez sous les étoiles de Monsieur Renaudie, sous les barres somptueuses de Madame Gailhoustet.
Vous verrez un lieu vivant et riche qui propose en ce moment une exposition de dessins de Dove Allouche qui sont merveilleux. Ne les manquez pas. Il y a également une araignée qui se promène sur le sol et qui offre à Guillaume le plaisir d'une rencontre les yeux dans les yeux. C'est déjà ça.
Si vous voulez en savoir plus sur Julien Pastor visitez son site :
http://www.julienpastor.com/julienpastor.com/julien_pastor.html
Si vous voulez en savoir plus sur la programmation du Crédac :
www.credac.fr