mercredi 31 décembre 2008

en lisant Claude Parent, Ronchamp


Je poursuis l'exercice de lecture.
C'est aussi pour moi l'occasion de m'apercevoir que j'ai peu publié sur Le Corbusier. Il ne s'agit pas d'un manque d'intérêt mais c'est un peu le hasard des publications. J'ai surtout parlé du Maître au travers des autres architectes essayant ainsi de mesurer une influence.
Mais voici que Claude Parent en parle directement et je le suis. Il s'agit ici de Ronchamp car il n'est pas difficile d'y voir une influence pour Nevers.
Il s'agit du même programme, une église, il s'agit aussi d'un tournant important pour les deux architectes et formellement il s'agit aussi de magnifiques roches fracturées posées là indifférentes et fortes.
Monsieur Claude Parent nous apprend que grâce à son frère il a pu à quinze ans rencontrer le travail du Maître au travers de ses livres.
Il nous dit aussi qu'il a dû rompre avec l'héritage d'une manière dure mais vraie en n'oubliant jamais l'influence de ce dernier. (C'est avant tout peut-être avec les héritiers qu'il a dû rompre).
Mais comment ne pas faire le chemin de Ronchamp à Nevers ?
Comment ne pas voir dans la complète et totale compréhension des programmes et leur réinvention, comment ne pas sentir dans la masse protectrice formant à elle seule le site, comment ne pas saisir dans le cheminement même de l'extérieur vers l'intérieur et dans sa révélation lumineuse comment ne pas être troublé par l'inquiétude que procure une forme lorsqu'elle n'est pas immédiatement identifiée à son programme, comment donc ne pas voir le rapprochement strident entre Nevers et Ronchamp ?
L'un, sculpteur cherchant l'imitation obscure d'une coque de crabe, comme si le réel devait l'expliquer et l'autre sur une pression amicale trouvant sa référence dans l'impossible rachat d'une architecture de guerre, ces deux monuments profondément autres, se refusant totalement à tous rapprochements identitaires (faire "église") trouvent une expression formelle grâce également au lyrisme du verbe. Il s'agit aussi d'œuvre du langage.
La grotte sert d'abri au crabe et ici l'histoire nous dit le crabe sert d'abri à la grotte. Des carapaces.
Il faut dire que j'aime aussi de Sainte-Bernadette-du-Banlay sa manière de tenir et l'image qu'elle propulse. Cette église n'est pas un bunker. C'est une image de bunker. Il s'agit, je crois, d'un point de vue constructif de deux coquilles de béton séparées l'une de l'autre et formant une épaisseur pour les yeux, des fentes pour les corps et la lumière et une fragilité bien cachée. Je me délecte de cette idée. Faire masse, abri avec si peu de matière et leurrer l'œil c'est réjouissant.
J'ai arpenté des pentes et des obliques chez Le Corbusier à la Villa Savoye et à la Villa La Roche par exemple. Des promenades courtes mais où le corps fléchit sous l'angle. La promenade y est belle parce qu'on y redécouvre sa pesanteur sous l'inclinaison plane désespérément d'aile. Je l'ai redécouvert chez Libeskind dans l'incroyablement touchant petit musée juif de Copenhague où le sol et les murs se penchent, vous penchent...
Mais de Monsieur Libeskind nous en reparlerons plus tard.



Voici donc la grotte corbuséenne.
Cette photographie de Marcel Blanc éditée en carte postale nous montre des courbes tombant du toit vers le visiteur, une vague lourde retenue on ne sait comment, la blancheur des murs contrastant avec les gris du ciel et la modestie des ouvertures ressemblant à des portes de buffets massifs. Il fait jour à l'intérieur et la matière granuleuse accroche ce jour. Les bancs d'une si grande simplicité sont des reposoirs à peine équarris mais parfaitement dessinés sur le corps.



Retournons-nous et laissons nous prendre par la soudaine luminosité en faisceaux. Surtout voyons comment la fente entre le toit et le mur du fond semble un coup de rasoir produit par l'énergie lumineuse. Quelle idée ! Tout semble si lourd et tout flotte pourtant sur un rai de lumière ! L'incision dit bien soudain la légèreté du béton en voile, c'est comme une tenture posée sur de minuscules plots.
Regardez bien le sol, regardez bien sa pente douce infléchie. Rien ici ne dérange l'impétueuse nécessité de conduire le pélerin vers l'autel. Il glisse.
Mais il devra remonter légèrement sans violence pour atteindre l'autel. Tout doucement. Monsieur Parent a pratiqué cette pente c'est certain, il l'a vécue, l'a suivie. Il s'agit là d'une carte postale éditée par N.D. du Haut et une photographie des Studios Hubert.
Sortons de là, et sous l'œil de Lucien Hervé à ras du sol, le ciel égal donne toute la force à ce toit que j'ai toujours trouvé très... évocateur.
J'ai déjà proposé un cliché de Lucien Hervé sur ce blog. Il fait toujours venir le sol. J'aime le tas de terre à gauche, petite colline inévitable au cadrage ?
Non, affirmation des volumes, respect d'un état du lieu.
La carte est éditée par la société immobilière de N.D. du Haut et fut expédiée en 1957.
Au dos du numéro 1-2 de "l'Art Sacré" consacré à Ronchamp une photographie nous montre un homme arpentant le toit. Il est sur une colline douce et descend cette pente, sentant sûrement le poids de son corps le précipitant vers le sol. Dynamisme retrouvé du pélerin grimpant la butte vers l'église, oblique finale celle de la couverture...
C'est avec celui de l'église de Royan, l'un des toits que je rêve de pratiquer !



Aucun commentaire: